Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Éducation : L'école des animaux, Montréal 2010
Connaissez-vous la fable – géniale ! - de L'École des animaux de George H. Reavis (à ne pas confondre avec La Ferme des animaux de Orwell, bien sûr !) ? Afin de réduire la longueur de mon billet, je vous invite chaleureusement à la lire ici.
J'ai cette fable en tête presque chaque jour depuis que nous sommes en mode adaptation à l'école régulière.
Il faut dire que le passage de la garderie à l'école se fait dans un virage en épingle digne des plus grands circuits de course automobile !
Je m'explique :
Dans les Centres de la petite enfance, et même dans la plupart des garderies privées, l'esprit dans lequel les éducatrices interviennent est clair : respecter le rythme de développement de chaque enfant. Nous sommes dans le monde du Ministère de la famille.
L'esprit de la Réforme, dans le monde du Ministère de l'éducation, se rapproche en théorie de cette vision des choses. Mais dans les faits, nos enfants mettent le pied en classe de maternelle (pour certains, ça se fait le lendemain du dernier jour de garderie !) et, tout de suite, on les jauge, la question centrale semblant être : dans quels domaines sont-ils en retard ? (Notez qu'on ne s'intéresse pas à savoir dans quel domaines ils sont en avance... J'y reviendrai plus bas...)
C'est ainsi que, trois semaines environ après le début des classes, l'enseignante de Léonard est venue me retrouver dans la cour d'école. Je ne répéterai pas tout ce qu'elle m'a dit ce jour-là, mais je peux vous en donner un bout : Léonard aurait des difficultés en découpage ainsi que dans la façon de tenir son crayon (aucun rapport avec le fait qu'il soit gaucher, m'a-t-elle rapidement précisé), deux habiletés préalables dans l'apprentissage de l'écriture. Elle a proposé que nous nous rencontrions, les deux parents seuls avec elle (j'étais allée à une rencontre de groupe avec Philémon dans le porte-bb, un soir... je pense qu'elle n'a pas apprécié. Je ne lui ai pas raconté notre casse-tête logistique des derniers temps... ). Ce que nous avons fait, bien sûr. Et acheté le livre d'exercices qu'elle nous a recommandé. Et mis les bouchées doubles dès la fin de semaine suivante (Jef, mon héros !)
Attends, Marie, qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne nous parles tout de même pas de la rentrée de Léonard ??? Ce garçon qui utilisait déjà le passé simple pour raconter des histoires, avant ses 3 ans ? Ce garçon qui, à l'âge de 4 ans, s'est exclamé, en écoutant le film L'Ère de glace, que l'histoire devait se dérouler en France – déduction toute logique, lui qui se rappelait avoir entendu parler des grottes de Lascaux plusieurs mois auparavant ? Cet enfant qui dessine aussi des cartes du monde à main levée depuis qu'il a 4 ans et demi ? Dont la lettre de l'alphabet préférée est, expique-t-il, le L, car c'est la lettre de son prénom et de TROIS félins (lion, léopard, lynx !)– aucune autre lettre ne pouvant prétendre débuter autant de noms de félins, hein ?! Ce garçcon qui pose régulièrement des questions du type : “pourquoi y a-t-il plus de femmes que d'hommes sur la Terre ?” et “Que faire pour sauver les gens de la planète s'il y a un tremblement de terre ?” Est-ce vraiment un des protagonistes de la pub des Petits poulets, aussi ?
Celui-là même.
Lors de la rencontre avec l'enseignante, après 30 minutes, elle nous a rassurés; il a l'esprit vif, il est intelligent - “Je dis ça à tous les parents”, a-t-elle dit à la blague. Nous n'en avons jamais douté ! Nous avons toujours été si fiers de lui, de ses forces, tout en n'ayant jamais fermé les yeux sur ce qu'il semblait développer un peu moins vite.
Car bien sûr, nous savons depuis longtemps que la motricité n'est pas la force de notre aîné, même s'il bouge beaucoup. Il n'a pas trippé à faire du tricycle, il aime bien personnifier les ballons... en oeufs de dinosaures plutôt que de les lancer jusqu'à plus soif ! Nous avons toujours continué à lui faire vivre des expériences de motricité fine ET globale – randonnées, peinture, canot, légos – en tentant de valoriser les bons coups et de ne pas trop insister quand le coup de foudre, lui, n'y était pas. On se disait que, avec le garderie puis la prématernelle, le tout combiné à toutes les activités faites avec nous, il allait quand même apprendre, à son ryhtme. Ne dit-on pas aux parents des 0-5 ans que les enfants ne peuvent mener de front le développement de deux sphères ? Que celui qui marche tôt parle plus tard, et vice versa ? (Dernières expériences : Le P'tit marathon il y a quelques semaines– avec entrée au Stade ! - et cours de kung fu avec papa, chaque semaine.)
Et puis ce que nous avons pu observer dans la dernière année nous a confirmé qu'il ne servait à rien de forcer, que la motivation était la clé pour provoquer les déclics. Un exemple ? Alors que nous l'avions inscrit à un cours de natation l'automne dernier – moment privilgié de sortie avec maman tous les lundis soirs – il n'y a pas trouvé grand plaisir et a même passé la moitié du temps sur le banc. Puis, ce printemps, comprenant que son cousin et sa cousine savaient nager, il s'est mis à demander chaque jour d'aller à la piscine... pour passer en quelques minutes des bras de papa à des longueurs d'une piscine hors-terre avec de petits flotteurs aux bras ! J'avais appris dans mes cours de psycho-pédagogie que la motivation est le moteur de l'apprentissage... Absolument !
L'autre moteur, selon mon souvenir, est l'estime de soi. S'il est vrai que, plus on trouve une tâche difficile, moins on a envie de tenter de l'accomplir, plus on la déteste, moins on est bon, et plus on la trouve difficile, ainsi de suite (c'est l'argument de l'enseignante), il est vrai ausi qu'il n'y a rien comme de construire son estime de soi pour se sentir davantage d'attaque pour relever des défis. J'ai marqué de grands coups, dans ma courte carrière d'enseignante, en valorisant chaleureusement un(e) élève en soulignant une force laissée pour compte dans la sphère scolaire. Ainsi J-L était un virtuose de la langue parlée même si la langue écrite avait toujours été pour lui un boulet ; vous auriez dû le voir s'épanouir après que j'eus braqué les projecteurs sur son immense talent ! Quant à P, une autre décrocheuse potentielle, elle avait une intelligence interpersonnelle exceptionnelle; dans le cadre de la lecture d'un texte sur les diverses formes d'intelligence, je le lui fis remarquer... changement complet de rapport avec le cours, après ce simple compliment !
Or c'est maintenant ce qui me préoccupe un brin. Car toutes les forces de Léonard (et il en a !) ne semblent pas peser bien lourd dans la balance des interventions, pour le moment du moins. Alors que Jef racontait à l'enseignante les progrès de Léonard en motricité fine, en prenant comme exemple les légos (il est tellement motivé par ceux-ci – ceux de Star Wars en particulier – qu'il est passé de “papa fais-moi un vaisseau” à la construction complète d'un petit bolide en suivant lui-même le plan de montage de A à Z !), elle a rapidement balayé ses paroles du revers de la main : ça, c'est du 8 ans et plus. Information inintéressante, donc ? Parce que mon fils a 5 ans ?
D'où ce que j'énonce plus haut : je n'ai pas l'impression qu'on accorde autant d'importance aux domaines où l'enfant est en avance que ceux où il est en retard... Pour faire un parallèle avec L'École des animaux, tant pis pour le canard qui nage super bien; s'il a de la difficulté à courir, là, on s'intéresse à son cas !
Je ne voudrais surtout pas avoir l'air de me boucher les oreilles. Encore une fois, on va la travailler, la motricité. Mais en attendant, mon grand a un comportement survolté les soirs de semaine; pas sûre qu'il s'épanouit dans cet environnement. J'aimerais tant qu'il puisse aussi y puiser des sources de valorisation... Là, j'ai l'impression qu'on tente de voir comment il pourrait renter dans une case à la forme prédéterminée – vous savez, la scène célèbre d'Apollo 13 ? Je caricature, bien sûr. Tout n'est pas blanc ou noir. La preuve, chaque enfant aura son moment de gloire cet automne avec une journée où il montre un dossier qu'il a préparé, "Je me présente".
Mais je trouve quand même que cette fable mérite qu'on s'y attarde, ne serait-ce qu'un peu...
Commentaires
My god !! Ça me touche ce texte !! Y'aurait cent mille chose sur lesquelles j'aimerais échanger avec toi là-dessus !!! Et c'est drôle, j'en parlais avec mes parents en fds. Et ma màre (enseignante au primaire pendant 33 ans), avait des choses intéressantes à dire... J'espère que vous arriverez à mettre la Mme Prof (Snape au féminin ???) de votre bord !!!
Ton Léonard me fait penser à ma Camille pour la motricité fine. Même scénario. Elle découpait mal, et là, attention, elle DÉPASSAIT lorsqu'elle coloriait. Oui, la citrouille qu'elle a colorié à l'Halloween n'était PAS orange. Un blasphème. Évidemment, ici, on achète des peintures noires ou bleues pour peindre nos citrouilles. Alors, Camille avait choisi autre chose que l'orange. J'avais aussi dit cela à la prof, qui m'avait l'air assez étonnée de rencontrer une folle qui peinturlure ses citrouilles en noir (en 1998 tout de même).
Je n'aurais pu dû mais j'ai répondu que je doutais que ça l'empêche de monter en première année. La prof n'a pas ri.
Aussi, il y a eu le problème d'attacher les espadrilles. Je l'ai vite résolu, j'ai acheté des espadrilles qui s'attachent avec du velcro. Moi, j'attaque le problème à la source. Un autre défaut.
J'aime qu'on se consacre sur ce qui est important. Ma fille tenait peut-être mal son crayon, mais c'est une bolle en français. Qu'est-ce qui compte ? Comment on tient son crayon ou ce qui sort au bout du crayon ? Tu vois, je suis très difficile à gérer et les cadres trop serrés m'ennuient.
Tout cela pour dire que je comprends chaque émotion qui se cache derrière tes mots. (Dommage que les choses n'aient pas évoluées depuis 1998).
J'ai fait du coloriage pendant cette année-là, mais on s'amusait. Et je suis fière du résultat, elle va obtenir son DES cette année, malgré un problème évident de coloriage à la maternelle...
Courage Marie, je peux te dire que, règle générale, les choses se tassent après l'Halloween, pourvu que nos citrouilles soient de la bonne couleur!
Cher Gilles, ça me touche que tu te sentes interpellé, et j'ai bien hâte d'échanger avec toi ! Je veux savoir ce que ta mère t'a raconté ! :)
Tarzile : est-ce normal que ce que tu m'écris me fait un bien fou ? Je me sens TELLEMENT moins seule ! MERCI xxx
Salut Marie,
Je reconnais que l'enseignante aurait dû saisir un peu plus dans quel genre d'environnement est élevé Léonard. Comprendre le milieu, c'est la base. Ça me semble maladroit, la façon de ne pas tenir compte des forces.
Laisse-moi par contre te soumettre une équation que j'ai rencontrée récemment en formation avec Steve Bisonnette, psychoéducateur â UQO, qui préconise l'enseignement stratégique et explicite.
Réussite = efforts + stratégies
Je patauge, comme tu le sais, dans la dyspraxie depuis maintenant trois ans avec Sophie. Comme pour Léonard, je m'efforce de créer un climat calme sans anxiogènes et je m'aperçois que c'est dans ces conditions que les progrès se manifestent.
Ce que je retiens de toute la situation, c'est qu'il y a eu une part de maladresse dans la manière d'apporter cette difficulté aux parents. Je pense que cela part d'une intention très noble, celle de mettre davantage d'attention sur les aptitudes motrices. Un peu comme si un de mes élèves, en septembre, manifestait une grande détresse en lecture et que j'en informais les parents et l'enseignante-ressource de l'école.
(et si tu veux des trucs ou des manières alternatives de travailler la motricité fine, je suis là...)
Ma chère Marie,
Je vois tellement mon grand dans 2 ans dans la situation que tu décris. Mon grand qui utilise des expressions d'adulte quand il parle, qui a une imagination débordante, tant pour inventer des histoires et des jeux que pour poser des questions, qui connaît ses chiffres écrits jusqu'à 12 et plusieurs lettres à même pas 3 ans et demie, tout ça sans pression de notre part et juste parce que ça l'intéresse, mais qui a du mal à tenir un crayon "comme il faut" et qui colorie... euh... assez intensément, disons (je n'appelle plus ça "dépasser").
Pour l'instant, j'ai décidé que je préfére le voir colorier avec plaisir, plutôt que d'insister pour qu'il modifie sa prise du crayon. Si je lui en parle plus que deux fois, il décide qu'il n'a plus le goût de colorier... Motivation, tu dis? ALors j'imagine trop bien l'effet dévastateur d'un milieu où on ne regarderait que ses faiblesses.
Je n'ai pas de conseils ni de suggestions, mais je t'offre mon empathie, mon oreille si tu en as besoin, et un gros câlin d'encouragement...
Chère Isabelle,
je savais que j'allais pouvoir compter sur ta compréhension et ton soutien.
C'est sûr que, dans mes expériences professionnelles, j'ai appris que, dans toute intervention, le clé est d'abord de s'ouvrir à l'autre, de lui permettre d'abord d'avoir un espace, d'écouter, etc.
Ensuite, je persiste à croire qu'il manque un élément très important dans l'équation. Je l'appelle affectif, confiance en soi, estime de soi... Sans cet élément, on a beau sortir des stratégies et mettre des efforts... (et où puiser la motivation pour faire ces efforts ?)
Mon objectif principal pour la maternelle de mon fils était l'affectif, et là je sens que c'est la priorité no 352. Alors que l'affectif est la clé pour tout le reste, de toutes façons. Selon moi.
Je comprends ta comparaison avec un élève qui manifesterait une grande détresse en lecture. Mais là, Léonard découpe ET écrit (il ne s'appuie pas assez, d'accord, ses doigts sont un peu trop hauts sur le crayon. Ce n'est pas si terrible), mais OUI il manifeste une grande détresse : à la maison en utilisant ses parents comme des punching bags, comme si l'école l'étouffait.
Cela dit, encore une fois, on en fait depuis, des exercices de motricité fine ! Je t'en demanderai si j'en ressens le besoin, tu es MA référence chère amie et superbe maman que j'admire !!!
:)
Chère Lucie,
je "répondais" à Isabelle quand tu as laissé ton commentaire ! 1000 mercis. Une autre qui me comprend ! :)
Ce que tu dis me rappelle ce qu'une psychoéducatrice m'a dit au téléphone l'autre jour : on pense que nos enfants seront prêts pour l'école lorsqu'ils ont fortement développé tout l'aspect cognitif, et en arrivant à l'école, on s'aperçoit que le cognitif est au début très peu pris en compte et que c'est la motricité qui est à l'avant plan des préoccupations ! (À mon avis, il y a déséquilibre, mais bon...)
Que c'est bon, l'amitié ! :)
Si j'avais écrit ce billet quelques jours plus tard, j'aurais pu vous raconter le beau succès de la présentation orale de Léonard en classe (j'étais SÛRE que c'était dans ses forces et qu'il serait super bon !) et de son premier "bulletin" somme toute très positif...
On va la travailler la motricité fine ! En attendant, encore une fois, je n'ai jamais douté du magnifique potentiel de mon beau grand garçon ! :)
Chère Marie,
J'ai une nièce de 9ans qui a été diagnostiguée dyspraxique à l'âge de 4ans. Elle a encore des problèmes d'équilibre sur son vélo mais autant elle ne parlait pas beaucooup à 3ans, autant elle est devenue une lectrice surdouée par rapport aux autres élèves de sa classe. Léonard sera sans doute très brillant malgré les inquiétudes de l'enseignante. Garde confiance!!!
Un petit ajout, en cette fin mars de la maternelle : nous avons rencontré la prof aujourd'hui et, non seulement elle note de très belles améliorations chez notre garçon, mais elle a aussi tenu à nous dire que nous avions joué un grand rôle dans ces améliorations. Disons que ça se prend bien ! (À la maison, c'est difficile, alors on prend ce qui passe !) :) Et j'ajoute que cette prof semble vraiment adorer son travail et manger de la pédagogie. J'ai trouvé que c'était difficile sur le plan affectif, mais le bilan sera positif. Ouf !
Vraiment contente pour toi! C'est la preuve que dans la vie, on progresse et c'est rare qu'on régresse. Il faut faire confiance à nos petits trésors!!!