Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Causes et culture : Une question de pouvoirs
(CECI EST UNE PARODIE)
Il était une fois un chercheur qui s’intéressait aux récits de vie des femmes de sa ville, son époque (Montréal, années ‘70). Il fit une recherche qualitative donnant la parole à des femmes au foyer (dont plusieurs dépressives et victimes de violence conjugale), de prostituées (dont certaines ayant été violées sur la rue) et de religieuses (dont certaines ayant défroqué).
Un comédien célèbre fut si touché par ces récits qu’il en fit une pièce de théâtre. Il invita trois comédiens à interpréter les rôles : Paul jouerait la femme au foyer, Pierre la vierge Marie et Jean la prostituée.
Des femmes militant pour les droits des femmes, dans une société où on invisibilisaient toujours leurs réalités et leurs luttes, eurent vent du projet des mois précédant la première. Elles entrèrent en contact avec le comédien pour lui proposer d’intégrer des femmes dans son processus créatif afin de valider ses choix de mise en scène, de costumes, etc., question de respecter la sensibilité des femmes qui avaient témoigné de leurs réalités. Elles lui dirent aussi qu’il était important de donner les rôles à des femmes, trouvant très délicat de faire jouer des hommes sur scène recevant les coups d’un mari ou subissant le viol par un passant.
Le comédien et son équipe refusa pratiquement tout dialogue. Tout au plus accepta-t-il qu’un des rôles soit confié à une femme.
Le jour de la première, de nombreuses femmes étaient présentes devant le théâtre, dénonçant le manque d’écoute, le manque d’implication offert aux principales concernées; le manque de sensibilité découlant de cette non-écoute, non-prise en compte de leurs demandes. Les organisatrices de la manifestation écrivirent des textes posés et argumentés sur la question et partagèrent également leur point de vue rigoureusement présenté lors d’entrevues médias.
Comme dans tout mouvement social, le contrôle des gestes et des prises de parole est impossible. Des prostituées ayant été violées, blessées dans leur chair; des religieuses défroquées ayant connu l’enfer misogyne du clergé; des femmes battues; mais aussi des femmes tout simplement outrées par l’attitude du comédien et de son équipe hurlèrent leur colère sans ambages durant la manifestation.
La pièce fut suspendue le temps que le comédien ne se remette d’une mauvaise chute, et le temps aussi d’organiser plutôt une tournée en région.
La bonne société retint deux choses : des femmes hystériques qui hurlent sur le trottoir et la suspension de la pièce comme étant de la censure.
Les hommes en majorité et quelques femmes s’insurgèrent. Ces odieuses militantes avaient censuré une œuvre, blessé un grand artiste, empêché le public de voir la pièce. Tout cela était tellement scandaleux (pas les violations des droits des femmes racontées dans ces témoignages, non, mais le fait d’avoir critiqué la pièce) ! On cria à la censure. Les auteurs du Refus global écrivirent dans la réédition de leur Manifeste « On se souvient de la pièce sur les trois femmes. Amitiés au comédien ».
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Hier, je suis allée voir Les Fées ont soif au Rideau vert. C’était magnifique. Le jeu des actrices, le talent des musiciennes sur scène, la beauté de la mise en scène, la force des textes dont beaucoup n’avaient pas vieilli d’un iota (d’autres, pas mal : la femme au foyer qui s’ennuie et la Vierge Marie… en 2018, par quels archétypes devraient-elles être remplacées ? J’y réfléchis beaucoup depuis). Bravo aux artistes. Quel scandale que le pouvoir clérical de l’époque les aient bâillonnées, et quelle chance nous avons de pouvoir revoir cette pièce aujourd’hui !
Photo : Théâtre du Rideau vert