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Causes : La situation des athées aux États-Unis : Une inspiration contre une athéicité de l’État québécois

Pour mieux comprendre le débat sur la « laïcité » de l’État au Québec, il m’a fallu d’abord retrouver l’esprit de la loi française de 1905, puis me mettre dans la peau des athées aux États-Unis.

Ce texte est initialement paru sur le blogue On jase ! On y retrouve des notes en bas de page. 

one-nation-under-god11.jpgLoi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État

Le pouvoir politique en France s’est trop longtemps identifié au dieu chrétien, puis catholique. Rois dont le pouvoir leur aurait été octroyé par Dieu, rois au pouvoir divin; même la Révolution française voua un culte à l’Être suprême! Les Françaises et Français non catholiques en payèrent le prix fort – pensons aux juives et juifs qui ont dû porter la rouelle; pensons au massacre de la St-Barthélémy contre les Huguenotes et Huguenots.

En 1905, ça suffit! Une loi est promulguée pour rompre définitivement les liens entre l’Église et l’État. Bien que cette loi consacre beaucoup de lignes aux enjeux financiers et immobiliers de cette séparation – et aucune à critiquer la ou les religions - ses premiers mots sont clairs :

Article premier 
La République assure la liberté de conscience.

En bref, cette loi stipule que toutes les Françaises et tous les Français doivent se sentir représenté·e·s également par l’État, peu importe leur posture de conscience. Car c’est là l’esprit de la laïcité : un État neutre pour des citoyennes et citoyens libres de ne pas l’être, neutres, pour que personne ne soit plus jamais inquiété pour ses croyances (ou incroyances).

Fin du XXe siècle : situation des personnes athées aux États-Unis

Il ne fait pas bon être athée dans les États-Unis d’Amérique. Des citoyennes et citoyens ostracisé·e·s par leur communauté doivent demander aux organisations athées dont iels sont membres de ne pas écrire d’adresse de retour sur leur courrier, de peur que des voisins aperçoivent un indice de leur non-croyance. Non seulement on leur reproche de ne pas croire, mais il leur faut démontrer par des articles et des livres qu’on peut avoir une conscience morale sans croire en Dieu. Pour mieux se défendre, un nouveau terme émerge : les Brights! Lors du discours d’inauguration de sa présidence, Obama les nomma pour la première fois dans l’histoire du pays.

Ce fut une petite révolution! Certes, la fin de son allocution resta, elle, bien traditionnelle, se terminant par ce God bless America qu’on retrouve jusque sur les billets de banque. Pas facile de se sentir représenté par les pouvoirs américains quand on ne croit pas en Dieu, bis repetita.

Début du XXIe siècle : terminer la laïcisation du Québec

Le Québec, longtemps dominé par un clergé catholique omniprésent et immensément influent sur la scène politique, doit terminer aujourd’hui un lent processus de laïcisation. Depuis la Révolution tranquille, les services de santé et d’éducation ne relèvent plus du clergé. Depuis 1998, les commissions scolaires ne sont plus confessionnelles. Pourtant, le président de l’Assemblée nationale arbitre toujours sous un crucifix placé là jadis par Maurice Duplessis pour marquer la relation étroite entre l’Église et l’État. Les écoles privées confessionnelles sont toujours financées par l’État. L’État accorde toujours des privilèges fiscaux aux lieux de culte. Une prière est récitée en début de séance dans bien des conseils municipaux. Comment les résidentes et résidents non catholiques peuvent-iels se sentir représenté·e·s par un conseil municipal qui ouvre ainsi ses réunions? Il reste donc du pain sur la planche.

Qu’en est-il donc du respect de l’esprit de la laïcité, c’est-à-dire un État rigoureusement neutre pour que ses citoyennes et citoyens se sentent libres et légitimes, peu importe leur posture de conscience? Hormis les graves entorses citées plus haut, on pourrait espérer que la société postmoderne québécoise ne laisse personne perdre sa légitimité à cause de ses convictions.

Malheureusement, surtout depuis le 11 septembre 2001, il est encore plus difficile d’être musulmane ou musulman au Québec qu’athée aux États-Unis. Ces Québécois·e·s ont droit à des agressions en ligne et en personne, quand ce ne sont pas des agressions carrément physiques. L’intolérance augmente sans cesse sur la place publique virtuelle et matérielle. Bref, des Québécoises et Québécois sont ostracisé·e·s pour leur posture de conscience, parce qu’on les essentialise en tant qu’arabe et∕ou musulman·e.

L’État québécois, s’il se targue d’être laïc, se doit d’intervenir. Or, il ne fait pas grand-chose.

Pire, les gouvernement péquiste (2013-2014) puis caquiste (2018-) proposent d’interdire aux Québécoises et Québécois dont on peut déduire la posture par un indice visuel – mais pas tous les indices! – d’occuper des emplois dans la fonction publique. Il s’agit là d’une profonde entorse au principe même de la laïcité, puisqu’on délégitimise certaines personnes, peu importe leurs compétences, leur professionnalisme et leur capacité d’exercer leurs fonctions sans être guidées par leurs croyances. Soudain, alors que la vaste majorité, si ce n’est l’ensemble des citoyennes et citoyens, portent en elles et eux des croyances de toutes sortes, certain·e·s ne pourront plus exercer leur métier pour des raisons d’apparence (mais pas toutes les apparences; pour rappel, seulement certaines).

Parle-t-on de laïcité, d’athéisme ou catho-athéisme d’État?

L’esprit de la loi de 1905 à laquelle on renvoie constamment a été tordu en France jusqu’à en défigurer complètement l’intention. Le glissement tient lieu d’avalanche. De la protection de toutes les personnes, peu importe leur posture, on en est arrivé à associer laïcité et absence (invisibilisation) de posture.

Alors qu’on souhaitait au départ que, par exemple, les personnes juives – l’affaire Dreyfus était alors récente – se sentent autant représentées par le pouvoir étatique que les catholiques ou les athées, voilà qu’au fil des décennies on a fini par interdire à certaines Françaises musulmanes (tiens, tiens, on ne demande rien aux Français musulmans) de cacher les indices visuels permettant de les reconnaître. D’abord, les fonctionnaires, puis, les étudiantes, ensuite, non seulement celles qui portent un foulard, mais bientôt celles qui portent un bonnet (pauvre Marianne), voire une jupe longue. On se mit bientôt à interpeller des personnes lambdas sur la rue, à la plage ou la piscine.

Il s’agit donc, dans ce retournement de sens, de nettoyer de la vue tout indice de posture religieuse. Aucun argumentaire - en France et désormais au Québec - prônant pareille invisibilisation n’est neutre face aux religions. Certes, on peut critiquer les religions, mais de là à répéter ad nauseam des généralisations qui ne résistent pas aux analyses historiques (on fait notamment porter « aux religions » tout l’odieux du sexisme et des guerres), de là à proposer une loi faisant en sorte que les Québécoises et Québécois perçu·e·s visuellement comme croyant·e·s puissent perdre leur emploi, il y a plus qu’une marge. Cette pirouette pas neutre du tout (et donc pas laïque pour deux sous) essentialise les croyantes et croyants, leur enlevant jusqu’à la possibilité qu’iels puissent agir selon leur libre arbitre, en toute rigueur et responsabilité citoyennes et professionnelles. On cherche à s’attaquer à des systèmes arbitraires donnés en s’en prenant aux individus.

Ce n’est certainement pas en athéïcisant l’État qu’on arrivera à faire respecter le concept de laïcité.

Redonner toute sa force à la laïcité, c’est redonner à chaque citoyenne et citoyen le pouvoir sur sa vie, lui reconnaître le droit de s’émanciper comme iel l’entend. C’est faire un pied de nez à tous ceux qui veulent le monopole du pouvoir, en premier lieu ces intégristes religieux qui instrumentalisent la religion à des fins géopolitiques.

Redonner toute sa force à la laïcité, c’est favoriser la vision de la vie en société que les signataires du Refus global puis les révolutionnaires tranquilles ont mise au monde : une société où l’État ne dit pas aux gens ce qu’ils doivent penser comme condition pour être pleinement reconnus dans toutes les dimensions de leur vie.

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