Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Bonheurs : Débrouillardise sereine sur la rivière St-François

IMG_5079.JPGJe me trouve dans une petite chambre mansardée d’un bâtiment annexe d’une ancienne ferme quelque part sur un rang de campagne entre St-François du Lac et le Lac St-Pierre.

Je m’y réfugie deux nuits parce que je sous-loue ma maison à Montréal et que la retraite d’écriture de trois jours dans un chalet avec des amies, sur la Rive-Sud de Québec, est terminée. Il me fallait trouver une solution temporaire sur le chemin du retour, et j’ai trouvé ce gîte sur Googlemap – une simple pastille bleue sur la carte.

Ces deux petites journées me ressemblent tellement. Cette sorte de minimalisme teinté d’émerveillement me va comme un gant.

J’ai rapporté des provisions du chalet, qui tiennent en équilibre entre des blocs réfrigérants dans un sac. En arrivant dans ma chambre, je demande s’il y a un mini frigo. Il n’y a qu’une ancienne machine distributrice d’eau – sans l’immense contenant tête en bas qu’on place habituellement dessus – et une petite porte tout en bas, où j’arrive à loger une pinte de lait, un pot de yogourt, de la ricotta. Le reste des victuailles se retrouve sur une ancienne table à langer.

J’ai besoin de protéines et d’une sieste. Je mange la fin des cachous, des lanières de poivrons jaunes et quelques arilles de grenade. Je me couche toute habillée. La clim fait un fracas tonitruant. Comme souvent, je tarde à trouver le sommeil, qui m’aspire enfin dans une chute lourde et étourdissante et interminable.

Lorsque je me réveille, la soirée est déjà entamée. Je quitte le bâtiment pour trouver les propriétaires et leur demander une cuiller et un couteau; j’ai déjà une fourchette en plastique que j’avais apportée pour manger des restes chauds dans un thermos sur la route vers le chalet il y a quatre jours. Je prends le plat de cachous vide et lavé et y verse un peu de sirop d’érable, d’huile d’olive et de jus d’une lime que je presse entre mes doigts. Je me félicite de conserver au fond d’une pochette de mon sac un sachet de poivre tout ratatiné qui fera office d’assaisonnement. Je regrette le thym laissé au chalet, mais il servira à d’autres. Je découpe des morceaux de tomates, épluche très mal le concombre avec le couteau et ajoute des morceaux au mélange. Ça fera la job.

Je suis surprise du goût agréable de cette salade. Je mange des morceaux de la mozzarella que je traîne depuis le début du voyage. Puis je me demande comment compléter ce repas pris sur la table ronde et bancale de chevet. Je tente le coup : de la ricotta déposée au fond de ma tasse à café réutilisable, un peu de sirop d’érable… pas mauvais !

Je fais la vaisselle dans le lavabo de la salle de bain partagée avec un peu de savon à main. Je passe la fin de la soirée sur Internet à tenter de comprendre les routes de la région pour une mini escapade du lendemain, puis je vais lire au lit et réussis à m’endormir avant une heure du matin.

Si on exclut les réveils nocturnes pour aller à la salle de bain, la nuit me réussit. Clim fermée, fenêtre ouverte et criquets en prime. Je me réveille sans réveil vers 9h. Je me sens encore fatiguée mais la crainte de faire mon escapade sous un soleil qui tape trop fort me donne le ressort pour me préparer à déjeuner. Je déguste donc ma dernière tranche de pain aux noisettes avec du beurre d’arachides et ma tasse de café me sert de nouveau de bol, cette fois pour du yogourt au sirop d’érable. Je tente d’extirper un reste de jus de la lime déjà pressée hier pour l’ajouter à l’eau de ma bouteille. Je me prépare un sac, me douche, m’habille en rouge (je ne porterai peut-être pas de casque et les voitures passent si vite sur le rang !), let’s go.

Les propriétaires ont préparé le vélo, trouvé un cadenas, une clé, et finalement un casque. Le siège est un peu haut pour moi et j’ai du mal à enjamber un vélo pour hommes (foutue barre – à quoi sert-elle ?). Mais je sais que « ça ira » - je n’ai aucune patience pour les multiples petites étapes qui doivent mener à une activité et en saute même lorsque cela veut dire moins de confort ou quelques complications. Les étapes me tapent.

En route ! Je n’essaie même pas de changer les vitesses. Je pédale, je laisse rouler, je dévore le paysage. Je prends le rang de l’île, longe pour un bon moment des chalets au bord de la rivière, me rends enfin à la marina. J’en suis à me demander si je dois attacher le vélo, entrer dans le bâtiment et m’enquérir au sujet de la navette pour vélo, mais elle est juste là, au bout d’une rampe à mes pieds. Un jeune garçon me fait signe de descendre vers le bateau. Sur le quai, je demande au capitaine si je peux payer avec carte – non – ou alors si je peux retirer de l’agent de l’autre côté – peut-être en réglant des achats au dépanneur. Bon.  Le garçon m’accueille, prend le guidon, installe le vélo, et j’entends aussitôt le moteur. Je serai seule pour cette balade !

Je ne connais pas la région, mais elle me plaît et je me dis qu’un tel delta mérite d’être découvert. Ça me fait du bien de me déplacer sur l’eau, même si le trajet est court.  À l’arrivée, le jeune garçon pousse le vélo sur la rampe. Je le remercie et pédale jusqu’à la rue principale pour trouver le fameux dépanneur.

Ces dépanneurs m’ont toujours particulièrement plu. Aliments non périssables, quelques frigos avec peu de choix, un frigo spécial pour les vers des pêcheurs, de la loterie, quelques magazines et mêmes quelques films en DVD à louer ! Je fais le tour, pensive. Il me faut une relative indépendance alimentaire jusqu’au lendemain avec un espace réfrigéré plus qu’exigu. Rien n’est sans sucre ou non salé comme je le voudrais. Je tourne le dos aux jujubes et popsicles avec un sursaut de volonté. J’opte pour du pain tranché que termineront mes enfants dans quelques jours et pour des compotes individuelles que je n’achèterais jamais d’habitude. Je conclus le tout avec un billet de loto et un magazine.

Je retourne près du lieu de mon arrivée en navette, sort des carottes de mon sac, et le magazine. Je lis un bout de temps à l’ombre, assise sur une table à pique-nique. Un dossier intéressant sur la grossophobie indique l’IMC de l’obésité morbide et je me mets à calculer le mien en ligne. Ouf, pas tant, mais quand même. Je poursuis ma lecture : plusieurs chercheurs de l’Université Laval – je viens de faire mon calcul sur leur site – expliquent à la journaliste que c’est une mauvaise idée de tenir compte de son IMC. Faudrait décider.

C’est justement le temps de manger. Je traverse la rue et fais la file de la cantine. Les menus sont collés au mur de telle sorte que les gens qui attendent en bloquent la vue. Je finis par me retrouver devant la fenêtre moustiquaire. Je demande à la fille s’ils servent le bon poisson fumé de la région. Non. (Je me rappelle une chronique d’Emilie Dubreuil sur les délicieuses guédilles de homard frais, en Gaspésie, servie avec de la mayonnaise industrielle en sachet. Oh well.)

Je détache donc mon vélo de nouveau et croise le garçon du bateau qui m’offre de m’accompagner pour m’acheter du poisson. Il me propose de couper entre deux maisons, vers un camping; je préfère aller à la maisonnette colorée au prochain embranchement.

Un écriteau indique bel et bien que c’est ouvert mais il n’y a personne. Un klaxon de vélo tout mou est accroché là et il est indiqué de l’utiliser pour appeler les propriétaires, ce que je fais. Je lorgne même à travers la fenêtre de la cabane brune à côté. Re-sonne. Un monsieur bien relax m’accueille. Il trouve mes questions amusantes. Non, pas de sandwich ou de salade; que des filets. Sur les quatre sortes de poisson qu’il tient, deux sont péchés ici. Je vais donc tenter le coup pour un filet de barbue fumée à 2$ ! Je n’en reviens pas de la chance que j’ai de vivre ce petit moment. Il me dit que là aujourd’hui il peut me jaser ça, mais que demain samedi, il y aura une longue file dehors !

Je retourne à la cantine et attend une éternité et demi pour un petit accompagnement (des pétales d’oignons épicées – de la poésie !) et de quoi me désaltérer. Je retourne sous l’arbre et détache des morceaux de chair de poisson avec les doigts. Je mélange jus d’orange et eau pétillante dans un verre. Le tout est un délice.

Je tente de placer dans un sac ce qui pourra être mis au recyclage, met le dit sac dans mon sac à dos, cours (je marche un peu vite, devrais-je dire) chercher mon vélo car la navette est là depuis un bout de temps. Zut, le reste d’eau pétillante coule, tout le fond de mon sac à dos est mouillé. Je pédale un tantinet, descends sur la rampe, hop le vélo dans le bateau, délogeant un petit vélo de Spiderman d’un petit garçon – son père devra le tenir contre lui.

Le jeune garçon du bateau monte le son de la musique western et nous demande si on compte aller au festival de la fin de semaine du travail. Tout le monde rigole de son côté vendeur. Je ne serai pas là au festival western, mais je compte revenir dans ce coin de pays !

La route du retour me semble difficile. C’est 5% d’une randonnée de vélo pour les habitués, mais pour moi, c’est assez. Je suis heureuse de retrouver le domaine de mon gîte. Le propriétaire m’accueille et me jase ça pas mal. Je rêve d’une douche et d’un dodo, mais je me suis promis de régler la facture avant. Je jase en payant, assise à la clim, avec la propriétaire.

Douche ! Dodo pendant un bon quatre heures, pause bouffeuse de temps désormais inévitable. Deuxième souper qui ressemble à celui de la veille, sauf que cette fois je mouille la pseudo vinaigrette avec une tranche de pain et mélange le reste de ricotta avec une compote fraises-pommes sucrée. J’arrive à extirper un peu de pulpe de la même lime depuis le début pour aromatiser l’eau.

Les questions qui me hantent trop souvent – est-ce que j’en profite assez malgré mes grands besoins de sommeil ? Vais-je assez dans la nature ? me poussent à ressortir avec mon ordinateur avant le coucher du soleil pour écrire ce texte sur une terrasse plantée en plein centre du domaine, où une chatte m’accueille en me faisant mille grâces (salutations à la traductrice d’Anne Frank) et des insectes ne me dérangent juste pas assez pour me permettre d’y rester. La lumière du ciel faiblit.

En cette semaine d’errance sous le signe de la littérature, j’aurai réussi à écrire ce petit texte. Ne me reste qu’à retourner dans ma chambre mansardée, d’y lire puis d’y dormir malgré les sensations exagérées de piqûres (foutue anxiété), de déjeuner demain du reste du yogourt et de pain mou au beurre d’arachides, pour ensuite prendre le lift jusqu’à Sorel puis le bus jusqu’à Longueuil puis le métro jusqu’à Montréal. Avec un bon café quelque part en chemin. Ma vie est sur le fil du rasoir depuis plusieurs mois – incertitudes, pertes, insécurité, sources de découragement – mais ces quelques jours me rappellent que cette débrouillardise simple pour moi (et qui semblerait complexe ou insécurisante pour d’autres) représente ma vraie nature.

Les commentaires sont fermés.