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Causes et Hommages : Lettre à mes ancêtres aux identités camouflées

From where are you Earth.jpgCher Elie, cher William,

Vous êtes mes ancêtres migrants. Vous faites partie de l’immense histoire des peuples ayant dû fuir la misère et la persécution, pour les retrouver en chemin, inexorablement. C’est grâce à vous si les deux noms de famille que je porte sont Brodeur et Gélinas.

Avec ces noms, on me croit descendante de migrants français de la Nouvelle-France. C’est pourtant vrai, mais c’est faux aussi. Je voudrais vous rendre hommage. Vous redonner la place qui vous revient dans mon histoire.

Elie, tu as fui l’Inquisition en Espagne; tu as dû cacher ta foi juive pendant des siècles. Un Gélinas qui cherchait ses origines l’a découvert à ses dépens au vingtième siècle lorsque, visitant une église de la ville française de Saintes pour retrouver ta trace dans les registres, il s’est fait insulter par le vicaire à cause de sa « race ». Étienne Juilina, premier « Gélinas » à traverser l’Atlantique pour gagner l’Amérique, était donc un « crypto-juif » ! Un paria qui devait dissimuler son identité religieuse et vivre ses traditions judaïques à l’ombre d’une église portée comme un masque. Cher Juif Elie, connais-tu l’histoire d’Étienne ? J’aimerais tant connaître la tienne et la sienne. Vous avez tous deux fui, trouvé refuge, tenté de vous protéger. Quand cette identité juive s’est-elle effacée au profit du nom Gélinas ? Et pourquoi ? Combien de mes ancêtres ont-ils subi l’insulte antisémite ?

William, tu es mort avant d’arriver. Ton épouse aussi. Toi Irlandais, elle écossaise, le bateau a livré au Canada d’alors votre fils, petit orphelin. Un Broother bientôt adopté et renommé Brodeur. À l’époque où il ne faisait pas bon être irlandais. À l’époque où des affiches de recrutement annonçaient que les Irlandais ne seraient pas embauchés. Sauf pour les métiers les plus durs, comme celui de creuser le canal Lachine. Toi aussi, j’aurais tant aimé connaître ton histoire. Quel âge avait ton fils, prénommé aussi William, lorsqu’il trouva refuge dans une famille canadienne-française ? Petit William, étais-tu assez grand pour connaître le gaélique et tes origines ? Ou trop jeune et dans l’innocence des épreuves traversées ? Le racisme contre les Irlandais te fut-il douloureux ou détourné loin de toi ? Tu as épousé une jeune Paquin à Trois-Rivières, en Mauricie, là où les Gélinas s’étaient installés depuis des siècles. Les descendants d’Elie et de William se sont-ils croisés, connus, déjà à cette époque ? 

Je vous étourdis peut-être avec toutes ces questions. Je le suis, étourdie, femme privilégiée de mon temps, effarée par la haine ambiante envers les personnes migrantes de toutes générations. L’humain a toujours migré et il migrera toujours. Mon histoire, à l’image de celle de l’humanité, en est une d’étapes, de continent en continent, de pays en pays. De traversées rudes en exils douloureux… puis heureux, espère-t-on ! J’aimerais que ce bonheur ne soit pas tributaire d’un camouflage forcé des identités. Elie, Étienne, être juif n’aurait jamais dû vous faire obstacle ! William et William, être irlandais n’aurait jamais dû vous faire obstacle ! Pas une seule identité humaine ne devrait être camouflée pour permettre à une personne de se frayer un chemin dans la vie.

Je vous écris donc pour vous faire la promesse que je ferai tout mon possible afin que les humains se sentent partout et toujours légitimes d’être… tout ce qu’iels sont.

Solidairement,

Marie Brodeur Gélinas, descendante d’identités multiples, toutes légitimes

Note : Plusieurs sources existent qui expliquent l'histoire des Gélinas. Je vous propose celle-ci :  https://sadp.wordpress.com/2010/01/08/un-secret-bien-garde/ (suivi de https://sadp.wordpress.com/2010/01/15/un-secret-bien-garde-prise-deux/ et de https://sadp.wordpress.com/2010/01/22/un-secret-bien-garde-la-fin/)

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