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Causes : L’un n’empêche pas l’autre; il faut les trois !

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Ça ne rate pas, ça se renvoie la balle constamment : « À quoi bon aller manifester ? Compostons ! » « Pfft, les gestes individuels c’est ridicule. Changeons le système ! »

Depuis que je m’intéresse de très près au militantisme, j’observe que ces deux pôles jouent au souk à la corde. Chacun veut avoir raison… puisque l’autre a visiblement tort !

Pourtant, aux deux extrémités, des personnes réfléchissent aux moyens à prendre pour rendre cette planète viable.

Les humains sont ainsi construits pour voir le monde en mode binaire : noir ou blanc, bon ou mauvais.

Pourtant, la solution découle certainement d’une diversité des tactiques, ou encore, comme je préfère le souligner, d’une complémentarité des actions.

Dans une ancienne équipe de travail, entourée de collègues merveilleuses, nous avions construit un outil de mobilisation : le cercle de l’engagement.

Je le repropose aujourd’hui. On pourrait changer son nom, s’il y a lieu. Mais l’idée est là.

Au centre : la vision du monde que l’on souhaite construire ensemble. Ce peut être un monde sans pauvreté; ou une planète viable pour tous les êtres vivants, par exemple.

Faisant cercle autour de cette vision, trois pôles d’actions : poser des gestes concrets au quotidien, changer le système et soutenir les communautés directement touchées. Les voici dans un certain ordre, mais il est possible de les articuler dans d’autres.

Poser des gestes concrets au quotidien

Devant un enjeu aussi énorme que les inégalités économiques mondiales ou les changements climatiques, il est normal qu’une grande proportion des individus se sentent bien impuissants. Dans les années 60 et 70, quiconque voulait changer le monde devait s’impliquer en politique, dans ou contre le système. Dans les années 80, on a dit aux gens qu’ils devaient faire des dons. Puis, au grand enthousiasme de millions de personnes, on leur a proposé au tournant du siècle de « changer le monde, un geste à la fois ». De faire partie d’une des gouttes de l’océan qui, ajoutée à des millions d’autres, fera une différence. Et les chiffres sont là pour justifier les efforts des gens qui compostent leurs déchets organiques, vont au travail en vélo, réduisent leur consommation à la source (le premier et le plus important des trois R, même si le 3e – le recyclage -, pourtant de dernier recours, est malheureusement perçu comme une panacée), à choisir des produits éthiques, à économiser l’énergie…

Ce pôle me semble fondamental car il donne un pouvoir d’action aux individus débordés dans cette vie de fous, et dépourvus devant l’ampleur du problème. Il permet, à tout le moins, d’amoindrir les conséquences du système dans lequel on se trouve et, parfois même, d’améliorer un tant soit peu la situation.

Surtout, il ne faut pas le réduire à des gestes « individuels ». Des gens se réunissent pour développer des potagers communautaires, organiser des transports alternatifs à l’échelle d’une école ou d’un quartier, revaloriser des déchets en objets de première nécessité. Ce pôle inclut donc des gestes collectifs qui mobilisent des humains à construire de la cohérence et de la solidarité dans un monde absurde et injuste. Sans le changer complètement, mais en le modifiant un peu.

Évidemment, les dérives pullulent : les biocarburants, qui utilisent des terres arables pour nourrir des voitures, en est un désespérant exemple. La fierté de remplir des tonnes de bacs de recyclage aussi.

Surtout, le balancier ayant peu à peu penché de toutes se forces vers ce pôle, les individus, d’abord mobilisés avec entrain, se retrouvent aujourd’hui dans une posture écrasante : ce seraient à eux de sauver le monde. Les systèmes qui causent les inégalités et les changements climatiques fonctionnent à plein vitesse derrière ce discours qui, de responsabilisant, devient culpabilisant (bonjour l’éco-anxiété) et reste surtout muet quant aux causes systémiques du problème.

Changer le système

Car il faut s’attaquer au cœur du problème. Et le nommer sans ciller : le système capitaliste est la cause profonde, historique et contemporaine, des inégalités mondiales et des changements climatiques. Il faut appeler un chat un chat.

Nous sommes socialisés (dès la petite enfance d’ailleurs) dans un monde qui justifie et valorise la compétition, la propriété privée, l’exploitation des ressources naturelles (ne les appelle-t-on pas ressources justement ?), la recherche du profit, la croissance infinie. On finit par nous convaincre que les inégalités sont naturelles, surtout que le capitalisme se traduit par une méritocratie crasse. Les populations appauvries ont dû faire quelque chose de pas correct pour se retrouver dans cette situation, peut-on lire entre les lignes des discours du systèmes. Et les pollueurs ont bien mérité leur confort (à moins que les pollueurs soient toujours les autres, nos compétiteurs, même si on leur achète une grande part de leur production). Tout se tient.

Alors parler de changer le système dérange profondément. Avant de sortir de sa zone de confort pour l’envisager, il faut se défaire des chaînes qui nous retiennent au fond de la grotte, et ces chaînes, nous en avons besoin : emploi, horaire surchargé par la force des choses, maison, téléphone. Comment faire ? Pour la plupart des gens, c’est presqu’ impossible de non seulement remettre en question le système mais aussi de lutter contre lui.

Déjà, se dépatouiller pour s’informer correctement est incontournable, et informer ses réseaux, quand on a les reins solides, encore mieux. Sans compter qu'il faut maintenant lutter contre les "fake news". 

L’action politique constitue une avenue que certains choisissent, malgré les embûches et les frustrations qui vont avec, la première étant le système électoral en lui-même. Si le cynisme est omniprésent, certains résultats sont là pour donner espoir aux autres.

Le militantisme au sein de la société civile représente une avenue exceptionnelle pour changer les structures injustes. Encore là une diversité des tactiques permet d’agir selon les forces de chacun et de viser des changements de toutes sortes. Malheureusement, il existe une hiérarchie fort subjective des moyens, et aussi des tensions parfois toxiques, entre personnes militantes. Mais ceci pourrait faire l’objet d’un autre billet.

Chose certaine, si tu ne s’occupes pas du système, lui s’occupera de toi jusque dans ton lit la nuit, pour paraphraser Michel Chartrand. Quand bien même on irait se construire une cabane en autosuffisance dans le fond du bois, un pipeline pourrait bien être creusé juste dessous des mois ou années après…

D’ailleurs, en parlant de communautés dont la vie est chamboulée par l'arrivée d'un pipeline ou autre, voici le troisième pôle du cercle de l’engagement :

Soutenir les communautés directement touchées

Agir dans sa cour permet d'être cohérent. Changer le système prend du temps. Mais au moment où j’écris ces lignes, des communautés ont besoin de support tout de suite. Pas seulement quand la structure aura changé. Avant. C’est-à-dire maintenant.

Ce pôle a beau être décrié par cyniques et critiques, il n’en demeure pas moins que lorsque le tsunami est entré brutalement dans les terres de pays de l’Océan indien fin 2004, a recouvert les champs d’eau salée et en a rempli les puits, on ne pouvait pas seulement agir sur les causes permettant de prévenir les prochains dégâts. Des millions de personnes avaient perdu leur maison, leur source de subsistance (bateaux, terres arables...), l’accès à l’eau potable. Il fallait agir. Au même titre qu’en pleine manif, si quelqu’un fait une crise cardiaque, on va s’occuper de lui le temps que les ambulanciers le prennent en charge, et au moins un-e manifestant-e va l’accompagner à l’hôpital où toute une équipe le soignera plutôt que de manifester, même si le système de santé a besoin de transformations majeures.

Si on a en tête les paniers de Noël (campagne répétée chaque année sans que les causes de la pauvreté ne soient remises en question), on oublie de nombreuses formes de soutien direct cohérentes pour les communautés directement touchées par les injustices. Pensons à l’accompagnement international, où des bénévoles étrangers vont faire preuve d’une présente vigilante dans des communautés menacées de graves violations de droits humains. Pensons à la clinique Juripop qui a soutenu les étudiants judiciarisés en 2012 au Québec. Pensons juste à toutes ces personnes qui se déplacent en zone inondée afin de participer au montage de digues pour protéger les maisons de la montée des eaux.

Et le cercle tourne. On peut imaginer que moins une communauté a besoin de se défendre pour répondre à ses besoins essentiels et plus ses membres peuvent choisir des gestes d’engagement qui contribueront à construire un monde juste et viable.

Les trois, donc

Ces trois types d’actions sont nécessaires. En dénigrer une est contreproductif. Les opposer l’une l’autre aussi. Non seulement elles ne sont pas mutuellement exclusives, mais en plus, elles sont complémentaires. Allez, on arrête de bitcher ses allié-e-s, gang.

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