Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Voyages : Inde paradoxale
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que l'Inde est un Grand Paradoxe comme on n'en fait nulle part ailleurs. La plus grande démocratie du monde envoie des satellites dans l'espace, est leader mondial en production de logiciels, accueille des Occidentaux en mal de services de chirurgie de qualité, a son propre univers cinématographique - Bollywood... Tout ça alors même que 42 % des familles indiennes vivent dans une seule pièce, que les infanticides de bébés filles dépeuplent les campagnes et que le taux de malnutrition y est aussi endémique que les hépatites, la typhoïde et autres maladies aux noms sympathiques. C'est aussi un bordel sans nom où saddhus, hippies et autres Elizabeth Gilbert/Julia Roberts en mal de sérénité viennent y trouver... la zénitide absolue !!! Allez y comprendre quelque chose ! :)
Je vous présente aujourd'hui un aperçu de mon Inde paradoxale à moi (j'ai aussi une Inde adorée à moi, une Inde estimée à moi... mais ici, désolée, ça va barder ! :)) Celle qui m'a fait sourire, sacrer, hurler... celle qui a failli me rendre schizophrène, en bonne maman tigresse que je suis (mais ça, ce sera pour un autre billet ! :) )
Mise en garde : j'assume ci-dessous une mentalité tout à fait occidentale. En toute connaissance de cause. Vaut mieux s'assumer que de se mentir à soi-même. Je savais déjà que j'avais férocement besoin, de temps à autre, de plonger dans l'inconnu, de me frotter à d'autres univers, de me confronter à d'autres façons d'appréhender le monde, - d'où ma soif du voyage. J'ai été servie cette fois-ci, plus que jamais ! Mais avouons-le, je me suis aussi découvert une indécrottable âme occidentale, en Inde !
Horticulture urbaine pour piétons heureux
J'ai deux bonnes nouvelles, pour commencer. Saviez-vous qu'à New Delhi, ville surpolluée s'il y en a une, les projets d'horticulture fleurissent à chaque pas ? Le long des larges avenues, autour des pimpantes stations de métro toutes neuves, sur les nombreux terre-plein, la verdure s'épanouit (c'est véritablement une plaisir pour l'oeil... Quant à mes poumons, en feu, je ne sais comment ils auraient réagi à Delhi sans tout ce vert ?) Autre bonne nouvelle : on a même aménagé de véritables passages cloûtés pour rendre moins périlleuse la traversée des dites avenues. Génial, non ? Et maintenant, voici une image combinée de ces deux bonnes nouvelles :
Pratique, n'est-ce pas ? Lors de notre première promenade, nous avions pris la poussette. Mouhahahahahaha !!!!! :)
Le Respect de la Vie a comme une petite odeur de brûlé
Je ne parle pas ici de la crémation des corps qui trouve son apogée à Varanasi, ville que nous avons évité de visiter avec de jeunes enfants. Je respecte d'ailleurs avec une humilité teintée d'admiration cette tradition qui s'inscrit dans une croyance très profonde.
Non, je parle des ordures.
Je vous rappelle d'abord que nous sommes au pays des Hindous végétariens qui forment la majorité de la population du pays; la ville de Rishikesh, où nous avons séjourné 7 jours, est à 100% végétarienne – elle se trouve aux sources du Gange, fleuve aussi sacré que les vaches, eh ! Même les emballages de Mac Donald et les Tétra-pak de jus de fruits arborent un petit point rouge pour les repas avec viande – ne serait-ce que de la graisse animale pour cuire les frites mériterait un point rouge – ou un petit point vert pour un aliment d'origine purement végétale. Et connaissez-vous les Jaïns ? Cette minorité religieuse respecte à un point tel toute forme de vie qu'elle refuse de manger un légume-racine, la culture de celui-ci pouvant entraîner la mort d'un insecte, n'est-ce pas.
Vous me suivez ? On dirait que je divague, je vous parlais d'ordures. C'est que, voyez-vous, les moyens manquent pour beaucoup de choses en Inde, dont la gestion des déchets. Alors sur le bord des routes, au coin des rues, à côté des chics petits cafés et des hôtels confortables, bref partout partout partout (ai-je dit : partout ?), il y a des tas de mini dépotoirs – on en a enjambé, des décharges, et la poussette a vite été remisée aux promenades de couloirs d'hôtels et d'aéroports, vous vous en doutez bien ! - mais sans qu'il ne soit question d'enfouissement.
Ben non, les vaches sacrées s'en chargent, de ces déchets ! Elles les broutent du matin au soir. Se les disputent aux gros cochons noirs (on dirait des phacochères, au grand bonheur de Léonard), des chiens errants et des oiseaux charognards. En pleine rue, comme je le vous disais. Parfois à un seul pas d'abris de fortune où vivent des êtres humains.
Bien sûr, elles ne suffisent pas à la tâche, ces pauvres vaches – et les autres animaux moins “purs” non plus. Alors, les ordures sont en partie brûlées. (J'ai d'ailleurs fini par comprendre pourquoi l'odeur de fumée était aussi dense lors de notre arrivée à Delhi, fin octobre; les Jeux du Commonwealth s'étaient terminés peu de jours avant, et ces jeux ayant généré une quantité effroyable de déchets dans une ville qui n'avait juste pas besoin de ça, les feux d'ordures pullulaient dans la ville - j'ai bien dit dans... pas juste autour ! Nous prenions une douche – court moment de bien-être – et sitôt l'eau coupée, l'odeur nous prenait à la gorge, en pleine chambre climatisée, sans fenêtre ouverte. À notre retour dans la capitale, fin novembre, l'odeur ne nous a pas marqués. Soit nous étions devenus habitués, soit les ordures des Jeux avaient toutes été consumées...)
Dans ce pays où toute forme de vie est sacrée, donc, où les rats ont leur propre temple, où les voitures zigzaguent entre chiots, chatons et tout autre animal faisant la sieste en pleine rue pour ne surtout pas les écraser (mais comment font-ils pour dormir paisiblement dans ce chaos et ce risque constant d'être écrapoutis par un char à boeuf ou à chameau, un éléphant, un rickshaw, un tuk-tuk, un camion, une voiture, alouette ?), on donne les ordures en pâture aux animaux... sacrés.
Ou mieux, on brûle les ordures sur les tas où broutent les vaches sacrées, à côté d'une pub pour des soins de médecine traditionnelle ayurvédique et d'un sympathique café pour touristes babas cool, sur le bord du Gange. Photo à l'appui (FLÛTE, il y avait des vaches, j'ai mal cadré... faudra me croire sur parole) ! :)
Des bip bip tonitruants au pays de la zénitude
L'Inde ne fait pas exception : comme partout hors de l'Occident, les klaxons sont rois. Sans klaxon, vous ne survivrez pas cinq minutes sur la route, en Inde comme en Syrie ou au Viêt Nam. Klaxonner signifie “je suis là”, “je vais te dépasser”, “cédez le passage”, et autres communications clairement nécessaires pour sortir vivants d'une promenade en zone motorisée.
Ce qui nous a grandement amusés, c'est que les camions indiens assurent leurs arrières. Peut-être leurs rétroviseurs leur permettent-ils encore moins qu'ailleurs de réduire l'angle mort ? Toujours est-il que, en belles lettres multicolores et enluminées, on peut lire au-dessus des plaques d'immatriculation des camions : “Please Horn”, ou encore : “Blow Horn” !
Moi qui n'avais jamais compris l'expression européenne “beau comme un camion”, ça y est, s'il s'agit d'un de ces camions indiens, je comprends enfin ! :)
Un écrin de beauté sur une mer d'égoûts à ciel ouvert
On peut en débattre autant qu'on voudra, le plus bel édifice du monde, la plus brève preuve amour de l'histoire, choisissez le superlatif qui vous convient, c'est le Taj Mahal.
En 1631, Shah Jahan passa comme commande à son architecte de construire un tombeau hallucinant de beauté pour sa deuxième épouse, morte en mettant au monde leur 14e enfant. 22 ans et 20 000 ouvriers plus tard, c'était chose faite. Le chef d'oeuvre semble flotter dans le ciel – coup de génie de l'architecte qui le fit construire sur une haute platte-forme face à la rivière Yamuna; de proche, on découvre qu'il est incrusté de pierres semi-précieuses sur toutes ses surfaces – pensez-y deux secondes !! Il est aujourd'hui aussi immaculé qu'à l'époque grâce à une restauration majeure et une ancienne recette de masque de beauté – mélange de terre, céréales, lait et chaux jadis utilisé par les femmes pour embellir leur peau.
Mais ce n'est pas tout. Vous verrez qu'avec de la volonté, tout est possible, même en Inde – surtout en Inde ! Les usines polluantes, la pollution automobile, bref l'air vicié de la ville d'Agra menaçait la sauvegarde de ce monument inscrit au patrimoine mondial de l'humanité. Alors les autorités firent déplacer les industries hors de la ville et maintenant, aucun véhicule motorisé ne peut s'approcher du Taj. On vous fouille à l'entrée, une file pour les hommes, une autre pour les femmes (comme dans les gros hôtels, le métro et plusieurs sites, en fait) et on a failli me confisquer mes pastilles pour la gorge et le petit pot bio de Philémon ! On ne rigole pas avec le Taj, qui tient le coup, et haut la main à part de ça !
C'est inspirant, tout ça, n'est-ce pas ? Mais au-delà de la réalité plus qu'à la hauteur des photos de cartes postales, pour le touriste, cela signifie franchir une frontière entre deux mondes, aller-retour. Car Agra est un égoût à ciel ouvert.
Non, non, pas de métaphore. Pour vrai.
Notre ami indien Hari, à Rishikesh, n'était pas content quand nous lui avons dit que nous resterions quatre nuits à Agra. “Not good, m'a-t-il dit – very dirty.” Hari, amoureux de son pays, nous affirmait cela bien sérieusement. Ouch.
Plus “dirty” que ce que nous avions vu jusqu'alors ?
Ça dépend de la sorte de saleté dont on parle... Des ruelles remplies d'eau et de déchets bouillonnants, j'ai vu ça à Jaipur.
À Agra, les canalisations qui longent les rues – qui longent tous les bâtiments, même ceux de notre chouette guesthouse familial propret avec terrasse d'où nous pouvions deviner le Taj – exhalent des odeurs... nauséabondes, oui, c'est le mot, désolée, pas très original. Autant dire qu'on ne cesse d'enjamber directement les égoûts, à Agra. Nous, nous pouvions nous réfugier dans notre chambre, où nous avions seulement à nous battre contre des moustiques (pas des marigouins de forêt boréale, là : des maringouins d'égoûts, menoum !). Mais les gens qui travaillent et vivent dans la rue, eux, pateaugent là-dedans toute leur vie.
Désolée, mais mon côté “luttons pour la dignité humaine” s'est révolté. Bravo les autoités, vous avez su préserver votre Merveille du monde : quand aurez-vous les couilles de protéger les GENS, bordel ?
En résumé, Agra fut pour moi la confirmation de ce que j'ai ressenti pendant tout le voyage : l'Inde est un enchevêtrement de Beautés à couper de souffle et d'Horreurs sans nom (je sais, ce n'est pas l'idée neuve du siècle... mais c'était ma façon à moi de vous le raconter.)
Voici une photo prise dans les magnifiques jardins situés au Nord de la rivière Yamuna (il importe de se positionner à plusieurs endroits de la ville pour admirer le Taj et voilà un lieu paisible à ne manquer sous aucun prétexte.) Le niveau de l'eau de la rivière ayant baissé, les détritus qui s'y trouvaient se sont accrochés à la double série de barbelés supposés empêcher les petits enfants de venir mendier auprès des touristes venus se rincer l'oeil devant tant de beauté (en vain – ils les traversent et même s'aggrippent les mains dedans... dur, dur...).
Oh mais non, pas question que jetermine ce billet avec cette photo. Je termine plutôt par celle-ci – mes enfants et un groupe de femmes qui se sont approchées de nous pendant que nous donnions à dîner à Philémon - notez la bavette à son cou ! - au dit parc en face d'un Taj surexposé (et donc invisible) :
La plus grande beauté l'Inde, ce n'est pas le Taj. Ce sont ses gens.
Namasté !