Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Hommages : Jacques par ses amis et collègues Pierre Lefrançois et André Yelle
(Mon papa a enseigné l'histoire pendant plus de 30 ans au Cégep Saint-Laurent. Il était très attaché à ce cégep, s'y est beaucoup impliqué et, bien sûr, s'y est fait de grands amis. Pierre Lefrançois a écrit un texte dans le journal du cégep en janvier 2007, peu après son décès. André Yelle a écrit un texte pour témoigner lors des funérailles de Jacques. Merci Pierre et André pour ces magnifiques témoignages.)
Texte de Pierre Lefrançois
Tout s’est précipité si rapidement pour Jacques. Il nous a quittés bien avant le temps escompté. J’en suis encore tout bouleversé. J’ai peine à croire que ce soit vrai, même s’il m’avait confié, il y a quelques mois de cela, qu’il était atteint de cette maladie maudite : le cancer. Ainsi, que de fois je me suis préparé mentalement à ce pénible moment : celui de son départ. Mais peut-on vraiment se préparer à la perte d’un ami? Laissez-moi me rappeler, il y a près de trente-cinq ans de cela, le moment où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nous avons fait connaissance à l’automne 1972, sur un piquet de grève (eh oui!) devant le cégep. Au gel des salaires, nous avions opposé un gel des cours. C’est dans ce contexte de solidarité que s’est amorcée notre amitié. Au fil des ans, j’ai appris à le connaître et à reconnaître ses qualités.
Jacques aura été pour moi à la fois une fenêtre sur le monde et une ouverture à mon patrimoine. D’une part, les descriptions détaillées et vivantes de ses nombreux voyages m’auront sensibilisé aux us et coutumes et à la culture d’autres peuples. D’autre part, ses exposés enflammés sur notre architecture, nos paysages et notre histoire liée aux espaces urbains et ruraux m’auront permis de mieux apprécier l’héritage laissé par nos ancêtres. Du reste, notre dernière marche dans Villeray, après un dîner pris au restaurant, m’aura confirmé qu’il demeurait, malgré la maladie qui l’assaillait, l’amant de son quartier.
Jacques aura été pour moi un être engagé et fidèle à son collège. Il y avait fait son cours classique, en plus d’y travailler sa vie durant. En de nombreuses circonstances, il se dévouera pour le représenter, notamment dans le cadre du programme SENS, dont il a été le cofondateur. D’ailleurs, ce sera la dernière tâche dont il s’acquittera, même s’il avait pris sa retraite : organiser les retrouvailles de tous les participants de SENS pour souligner le 20e anniversaire de ce programme.
Jacques aura été pour moi un syndicaliste engagé auprès des membres de notre association. Démocrate? Bien sûr qu’il l’était! Il favorisait la participation sous tous ses aspects. Il était particulièrement attentif aux conditions difficiles que devaient subir les plus jeunes quant à leur permanence. Je me souviens plus particulièrement d’un cinq à sept qu’il avait organisé pour traiter du sujet. Il me répétait souvent qu’il fallait céder notre place à des plus jeunes que nous. Ce à quoi je rétorquais qu’il ne fallait pas ignorer le droit au travail des aînés. D’infimes différends nous opposaient à l’occasion.
Jacques aura été pour moi un contemplatif. Il était constamment à la recherche d’un havre de paix où il pouvait laisser errer son regard sur la beauté d’une nature non dégradée. Léry, où je suis allé l’automne passé, aura été son dernier p’tit coin de paradis. Je pense qu’il aurait aimé s’y établir… En voyage, il recherchait les endroits exclusifs. Je me souviens de sa visite lors de l’un de nos séjours estivaux à Port-au-Persil : que d’heures passées à regarder le fleuve, à sentir le vent du large et écouter le son que faisaient les oiseaux et les vagues! Quelles belles impressions!
Jacques aura été pour moi un modèle de tendresse et de sensibilité. Il avait cette capacité de se détacher des difficultés qu’il vivait et des émotions que celles-ci suscitaient pour se rendre disponible à l’écoute de mes inconforts existentiels. J’ai ce souvenir de lui à l'hôpital, la veille de sa mort, où, malgré sa souffrance, il s'abandonne les yeux mi-clos dans les bras de Marie, sa fille. Que de beauté et de tendresse dans ce geste. J'en frissonne et j’en pleure encore.
J’aimerais dire à tous ses amis que je partage leur chagrin.
Je remercie André Yelle qui, lors de ses funérailles, m'a remplacé au pied levé, pour lui rendre un vibrant hommage. J'étais devenu aphone durant la nuit.
J'adresse à Fabienne Vézina un hymne de gratitude pour l'accompagnement qu'elle lui a offert durant ce passage. Je tiens à la remercier pour nos rencontres complices où je me sentais moins seul et mieux équipé pour continuer à cheminer avec notre ami.
J'aimerais terminer avec un poème de Gaston Miron qui exprime le climat et le contenu de nos dernières rencontres. C’est un baume pour apaiser la douleur que j'éprouve.
J’ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant
il y a longtemps que je ne m’étais pas revu
me voici en moi comme un homme dans une maison
qui s’est faite en son absence
je te salue, silence
je ne suis pas revenu pour revenir
je suis arrivé à ce qui commence
Pour Emmanuelle
Dans l’homme rapaillé
Il y a, derrière ce choix, des secrets inexpliqués qui m’enveloppent d’un voile d’espoir…
Adieu Jacques!
Texte de André Yelle
J’ai connu Jacques à quatre titres : comme professeur, comme collègue,
comme père de famille et comme ami. Comme professeur, il fut exemplaire.
Ceux qui l’ont connu savent que Jacques avait des talents de conteur
extraordinaires. Une banale histoire s’animait lorsqu’elle était racontée
par lui.
En 1983, j’ai eu le plaisir de suivre son cours préféré : Histoire de la
décolonisation et du Tiers Monde. C’est lui qui m’a donné le goût
d’enseigner, car sa passion était communicative. Quelques années plus
tard, l’expérience se répéta lorsque Pierre Chapdelaine suivit la même
route que moi. En 1991, j’ai commencé ma carrière de professeur et j’ai eu
la chance de l’avoir comme collègue. J’ai découvert un homme toujours
aussi passionné qui se donnait entièrement à la cause qu’il défendait.
Jacques avait le Collège Saint-Laurent dans le sang. Il a passé plus de 40
dans en ce lieu. Il y fit son cours classique et revint après quelques années
d’université comme professeur et y demeura pendant plus de 33 ans. Il
avait le sens des valeurs et des responsabilités. Il fut un des co-fondateurs
de l’option SENS en 1987. Il demeura fidèle à SENS pendant près de 20
ans. Il faut aussi mentionné son implication syndicale qui fut très
significative à la fin de sa carrière.
En 1993, Marie, la fille de Jacques, rentre en Sciences humaines au Cégep
Saint-Laurent. Elle voulut suivre les traces de son père et faire l’option
SENS. Jacques devait lui enseigner et il était très fébrile à cette idée.
Malheureusement, un malaise cardiaque l’empêcha de commencer la
session. C’est moi qui ai pris sa charge d’enseignement, c’est donc moi qui
ai enseigné à Marie. Jacques était de nature inquiète et il me téléphona à
quelques reprises afin de savoir si toute allait bien pour elle!
Finalement, j’ai connu Jacques comme ami, principalement lorsque j’ai fait
à mon tour partie de l’équipe de professeurs de l’option SENS. Je l’ai
côtoyé quotidiennement et j’ai appris à mieux le connaître. Mon stage au
Guatemala avec lui, en 2002, demeurera quelque chose d’unique pour moi.
Si je parle au nom de mes collègues, je pense que je ne me trompe pas en
disant que ce qu’on retient de Jacques est sa passion, son sens des valeurs,
son implication acharnée dans ses projets et son sens des responsabilités.
Salut Jacques!
André Yelle