Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Voyages : 24 heures en folie du Pérou à la Bolivie
En 1993, je réalise enfin mon rêve : partir en stage avec le Programme SENS du Cégep de Saint-Laurent (cofondé par mon papa - depuis le premier stage où il fut accompagnateur, en 1987 à Haïti alors que j'avais 13 ans, que je me promettais de m'inscrire à ce programme !). Je séjourne donc un mois en Bolivie où j’ai vécu certains des moments les plus marquants de ma vie. Puis, ensuite, je passe un petit deux semaines au Pérou pour vivre un trip de voyage assez intense (Lac Titicaca, Inti Raymi – fête traditionnelle du Soleil le 24 juin - Chemin des Incas, Machu Picchu, rafting sur l’Apurimac...) Mais comme chaque bonne chose à une fin, je suis attendue au Québec pour un mariage puis pour retourner travailler au camp Minogami (déjà, j’ai rogné sur une partie de l’été et arriverai pour le 2e séjour). Je dois donc quitter l’ancienne capitale Inca, Cuzco, pour relever le défi de traverser en 24 heures la frontière Pérou-Bolivie pour attraper mon avion à La Paz ! C’est ça, la jeunesse ! J
Nous sommes un mercredi soir de juillet. J’ai ramassé tout mon stock qui gisait sur le plancher du guide de rafting qui nous héberge dans son salon, j’ai fait des courses, je ne trouvais plus mes amies mais les ai croisées à temps sur la Plaza de Armas pour qu’on se rende à la gare d’autobus. Sophie (la même qu’ici !) me confie un magnifique jeu d’échec où Espagnols et Incas s’affrontent, pour que je le remette à son chum au Québec. Nous jasons à côté de l’autobus, le cercle que nous formons se déplace, nous tournons le dos à mon sac de jour (celui que j’apporterai avec moi dans l’autobus)... et celui-ci disparaît ! QUELLE TUILE ! Je savais que les vols étaient courants au Pérou, en particulier à Cuzco, mais en deux semaines, nous étions vigilantes et rien ne nous était arrivé. Sophie pleure de colère – il y a ce jeu d’échec mais aussi une lettre de plusieurs pages écrites à la main ! (N’oublions pas que c’était l’ère pré-Internet !) Je perds donc mon appareil-photo (qui a rendu l’âme sur le Chemin des Incas), des livres de lecture (je ne saurai jamais la fin de La tante Julia et le scribouillard de Vargas Llosa), et un peu de bouffe pour supporter le trajet de nuit. On se met à chercher de la monnaie dans nos poches pour m’acheter quelque chose... jusqu’à ce que les vendeurs ambulants, qui se trouvent près de l’autobus avec leurs paniers de pain et d’autres grignotines, m’offrent de quoi me sustenter ! J’en suis encore émue. Ces gens-là gagnent si peu, et m’ont tant offert !
Quel pénible voyage de nuit en autobus. Je suis au fond, flanquée d’un jeune garçon péruvien qui veut devenir policier et d’un Autrichien qui ne parle pas du tout espagnol et à peine anglais. Nous passons par des cols au-dessus de 4000 mètres d’altitude et les vitres se couvrent de glace. Je m’enroule, assise, dans mon sac de couchage.
Ce jeudi matin, nous sommes sur le plateau andin appelé Altiplano. Nous prenons sur le pouce des étudiantes qui se rendent à l’Université (de Juliaca ou de Puno ? Je ne sais pas). Je descends de l’autobus et suis accueillie par un jeune homme qui tient une pancarte avec mon nom dessus - les gens qui m’ont vendu le billet à Cuzco ont communiqué avec des gens de Puno pour m’aider à passer d’un autobus à l’autre ! Wow ! On m’offre un Coke et je peux faire pipi... dans la cour arrière de chez quelqu’un, les poules caquetant autour de mes jambes. Puis, c’est reparti, cette fois en compagnie d’Australiens super gentils qui sont bien d’accord avec moi : le Lac Titicaca, ça nous rappelle la Grèce ! En plus froid, mais la Grèce tout de même !
Voici la frontière. Deux petites cabanes de béton, une péruvienne et l’autre bolivienne. Pour quitter le Pérou, pas de problème (sauf dans mon cœur, snif !). Le temps de franchir à pied le No man’s land de quelques mètres et je recroise une personne exubérante que j’avais rencontrée au Machu Picchu – un brésilien ayant fait des études en français en Égypte... Je lui raconte l’épisode du sac volé et il pousse de grands cris d’horreur !
J’aurais bien voulu en pousser, des grands cris d’horreur moi aussi, lorsque je me retrouve devant le douanier bolivien. En effet, mon visa est échu, mais j’explique que je ne fais qu’aller prendre mon avion (billet comme preuve à l’appui). Il m’invite alors à le suivre dans une pièce fermée et me fait le signe universel de l’agent en frottant deux doigts... Merde ! J’enlève ma botte de marche puante, en retire un 20$US, et le tour est joué. Bolivia, me revoilà !
La Paz. Retour dans cette plus haute capitale du monde où les riches vivent tout au bas de la cuvette (à environ 3000 mètres d’altitude), et les plus pauvres, tout en haut (à 4000 mètres d’altitude, dans le bidonville de El Alto) ! C’est la course contre la montre. Je me présente auprès d’un chauffeur de taxi et lui offre de m’accompagner dans mes courses. Il sera super gentil et je lui ferai totalement confiance, mon gros sac tout crasseux gisant dans son coffre pendant mes allers et venues de la journée !
Arrêt no 1 : El Banco de Bolivia (s’tu ça ?) pour retirer de l’argent envoyé par ma tante depuis la CIBC de Montréal. Flûte, c’est fermé, et la porte principale est cachée par un garde tenant mitraillette ! Je perçois qu’il y a encore de l’activité à l’intérieur, vois une trappe pour les colis, m’y engouffre, me plante devant une guichetière, lui dis mon nom. Deux minutes plus tard, le nom de ma tante résonne dans la pièce vide de clients, j’empoche les sous. Une affaire de réglée !
Arrêt no 2 : Bureau de la compagnie aérienne pour confirmer mon billet. Tout est beau, me dit-on. Ouf !
Arrêt no 3 : Rue Sagarnaga pour acheter quelques cadeaux artisanaux, puis sur une petite rue perpendiculaire pour aller acheter aux fameuses sorcières des filtres magiques (amour, chance, santé) pour ma famille. Par contre, les foetus de lama séchés, je laisse ça aux ingénieurs et architectes qui doivent en mettre dans chaque fondation pour que ce soit bien solide !
Arrêt no 4 : Auberge où j’avais séjourné quelques semaines plus tôt. Stupeur : un sac que j’avais laissé dans la bodega ne s’y trouve plus. À la réception, je laisse des sous à une amie qui devrait repasser par là en route vers le Paraguay. Je passe à travers la pile de lettres arrivées pour les résidants : rien de mon chum. Je parcours des yeux les meubles jonchés de paperasse, je pointe un petit coin de papier qui dépasse avec les petits carrés rouges et bleus caractéristiques de bien des enveloppes « Par Avion », la dame tire dessus... bingo ! Une lettre de mon chum, que je lirai en larmes dans le taxi en route vers l’aéroport !
Jeudi soir, à l’aéroport, je tombe sur mon amie Sophie - une autre Sophie - (bonne nouvelle : c’est elle qui a pris mon sac à l’auberge) complètement paniquée de me voir arriver autant à la dernière minute. C’est qu’elle a croisé le Brésilien exubérant dans son hôtel et celui-ci lui a raconté l’histoire du sac volé avec moultes exagérations ! Je la rassure : c’était surtout des biens de valeur sentimentale, et oui j’ai réservé ma place dans l’avion....
Sauf que, la confirmation de place ne semble pas avoir réussi à franchir les 1000 mètres d'altitude qui séparent le Centre-Ville de l’aéroport, mon nom n’apparaît pas ! Mais il reste un tite place pour moi. Un « Ouf » cette fois-ci fondé !
De longues heures d’avion nous attendent. Cela fait 7 jours que je n’ai pas dormi dans un lit (4 jours de rafting + une nuit sur le plancher du guide de rafting + un autobus de nuit + un avion de nuit !)
Vendredi dans la journée, nous faisons escale à Miami (quel choc culturel ! On a envie de rebrousser chemin !). Nous arborons fièrement nos gros chandails de laine andins et nos bottes de marche. Une américaine nous prend en pitié : « Take those sweaters off or you gonna diiiiie outside ! » (Elle n’a pas tort, nous les avons bien quittées nos montagnes adorées, il doit bien faire 30 degrés à l’extérieur !) Insouciantes, nous nous baladons dans les couloirs (cette fois-ci, pas le temps d’aller se rafraîchir dans la piscine qui se trouve sur le toit – j’en profiterai avec Jef et ma belle-sœur en 1995 en route vers l’Équateur !). Au détour d’une allée déserte, nous tombons sur nos sacs laissés à l'abandon... Il fallait les réenregistrer mais n’y avions pas pensé ! Décidément, le hasard joue en notre faveur !
Vendredi soir, je suis chez moi, dans les bras de mon chum après une longue douche, et je ne sais plus quelle émotion prend le dessus sur l’autre : être revenue ou vouloir repartir !
(Samedi matin : départ pour Québec où nous avons un mariage. Dodo à Shawinigan. Dimanche : retour au camp de vacances.) Avais-je une vie bien remplie, l’été de mes 19 ans ?!!!
Crédits photos pour la 2e et la 3e (il s'agit de vieilles cartes postales) : Jimenez Montero et Juan de la Riva.