Vie pimentée de militante (Bienvenue aux réfugié.e.s !)
Voyages : Delphes, de l’enthousiasme à l’effroi en passant par l'enchantement
Été 1987 (j’ai 13 ans) : mon papa m’emmène en Grèce ! Depuis plusieurs mois que je lui rebats les oreilles avec mes rêves de voyages, voilà-ti pas qu’un de ses collègues, qui a sa propre agence de voyage, lui offre d’accompagner un groupe en Grèce, voyage précédé de plusieurs heures de cours sur l’histoire grecque (et ça tombe bien, mon père étant prof d’histoire au cégep et ayant déjà plusieurs séjours en Grèce à son actif !). Il ne fait ni une ni deux : il accepte et me paie le forfait, le sien étant payé comme dédommagement. Quel bonheur !
Je pourrais en raconter des choses sur cette expérience d’une jeune fille qui partage la route avec 14 adultes à la retraite ( !) : j’y ai appris que les voyages organisés n’étaient pas ma tasse de thé, que la lecture pouvait me faire manquer de magnifiques couchers de soleil (Anne Frank a bouleversé ma vie cet été-là), qu’on pouvait faire une psychose en plein autoroute – oui, une des dames du groupe a vécu là-bas la pure épreuve de sa vie, j’en ai été témoin et cela m’a évidemment maquée - .... Au delà de tout, j’ai voyagé avec mon père ! J’ai appris un tas de choses, visité des lieux magnifiques, vécu des moments magiques.
En particulier, la visite de Delphes m’avait enthousiasmée (le mot enthousiasme vient d’ailleurs de cette idée d’être « possédé » par un dieu, telle la Pythie de Delphes !). Mon père et moi nous plaisions à raconter, quelques années plus tard, que le Machu Picchu et Delphes étaient les deux nombrils du monde (selon les mythologies grecque et inca – bon on triche un peu, c’est Cuzco et non le Machu!) à visiter absolument pour l’émotion et la beauté à couper le souffle de ces sites à flanc de montagne.
Hiver 1992 (j’ai 18 ans) : je suis un cours d’atelier littéraire au Cégep de Saint-Laurent. L’exercice de la semaine consiste à raconter un événement où nous avons expérimenté le coup de la madeleine dans le thé de Proust : être projeté dans le passé au contact d’un son, d’une odeur, d’une vision... Je décide alors de raconter mon passage à Delphes comme souvenir rappelé à moi par des images de la Guerre du Golfe de 1991 ! Été 2008 (J’ai 34 ans, ouch !): Voici, ci-dessous, le texte rédigé en 1992. J’en avais un souvenir un peu trop flatteur (peut-être parce que je me rappelais le commentaire du prof : « j’ai bien cherché à mettre « du rouge partout », mais mon crayon est resté en suspens, pris au charme de la beauté hellène »), mais je ne le retoucherai pas (même si c’est tentant, et ce, à plusieurs reprises). Le voici, à l’état brut, si on veut !
Depuis la tranquillité de mon salon, j’observais avec dégoût à la télévision le avions américains raser le désert de l’Irak et lancer sans compter des milliers de bombes. Dès le début de la guerre, j’avais été scandalisée, horrifiée et je marchais dans les rues pour la paix tous les jours. Mais aujourd’hui, c’était différent. Je me sentais profondément déragée, instable, et j’avais un certain mal au cœur. Tout cela à la vue d’une image, pourtant semblable à toutes les autres, celle d’un avion tout noir au nez pointu comme celui d’un aigle. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi un jet américain parmi tous ceux qu’on voyait à la pelle chaque jour dans les médias ne faisait un tel effet. Je finis par oublier cette sensation de déjà-vu et continuai à vaquer à mes occupations. Ce ne fut que plusieurs heures plus tard que je me rappelai.
Je feuilletais les photos d’un voyage en Grèce datant de plusieurs années. Olympie, Mycènes, Épidaure, et enfin, Delphes... Delphes, un endroit de toute beauté où tout mon petit groupe d’amis québécois avait eu le souffle coupé par l’enchantement qui s’en dégageait. La mythologie raconte qu’on lança deux aigles dans le ciel afin de découvrir le nombril du monde, qui serait désigné au-dessous de l’endroit où les grands oiseaux se rencontreraient ; il s’avéra que la rencontre se fit à Delphes !
Les cigarettes tombaient des mains des fumeurs, les appareils photos se balançaient aux cous des touristes. La grande plaine d’oliviers semblait se soulever, les hautes montagnes s’y enfoncer. Les derniers vestiges du temple antique attendaient derrière nous. Je me souviens, une copine me dit plus tard : voilà, maintenant que j’ai vu Delphes, je pourrai croire à n’importe quoi !
Un bruit assourdissant nous tira brusquement de notre rêverie. Le temps d’une seconde, un avion militaire pareil à celui que je vis à la télévision traversa la vallée sereine et féerique comme un éclair noir.
Note : les photos datent de ce voyage. Ça paraît, hein ? J’utilisais un appareil épouvantable ! Mais bon, j’ai des souvenirs, dont cette photo avec mon père (ci-dessus) que j’affectionne tout particulièrement.