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Voyages - Page 11

  • Voyages : Première rencontre avec le Sud, cet otro mundo

    Vers 12 ans, j’ai su qu’un jour j’irais faire un stage dans un pays "en développement" comme on les appelle si mal. Mon père préparait ses premiers stages avec ses étudiants du Programme SENS au Cégep de Saint-Laurent, d’abord en Haïti puis au Pérou et en Équateur, et cela m’a paru une évidence : moi aussi, j’irais voir comment les gens vivent, ailleurs.  J’étais déjà allée en Europe et aux États-Unis et souhaitais y retourner, mais je sentais instinctivement qu’aller dans le Tiers-Monde (pourtant habité par les deux-tiers, voire les trois-quart de l’humanité !) constituerait une étape différente.  Comprenais-je déjà que le Sri Lanka, dont j’entendais parler depuis mes 4 ans grâce à Mahinda, la Jamaïque, où ma mère était allée, étaient des pays dits « du Sud » ?  Je le devinais…

     

    Après des voyages en Grèce (c’est encore l’Europe), en Martinique (c’est un département français) et en Europe occidentale, ça y est : à 19 ans, en 1993, je me prépare à partir pour la Bolivie. C’est un rêve que je caresse depuis si longtemps  - et depuis un an, j’étudie les questions dans des cours spécifiques de géographie, d’histoire, d’économie et de sciences politiques, je suis donc un peu préparée, et je dévore les livres sur les Incas aussi, d’ailleurs - que j’ai peine à le croire.  Tout le monde autour de moi sait déjà que cette fois, ce sera autre chose.  Ma maman pleure à l’aéroport, elle qui m’a pourtant vue partir seule avec une amie en Europe trois ans auparavant !

     

    Déjà, le périple aérien est imposant : Montréal – Boston - Miami (escale assez longue pour qu’on se fasse une réunion de groupe) – Caracas (petit arrêt pour se dégourdir les jambes) - Manaus (un arrêt en pleine nuit dans la jungle brésilienne pour remplir le réservoir je crois) – Santa Cruz, une des deux villes boliviennes à avoir un aéroport international, donc changement d’avion – Cochabamba !

     

    Dès la sortie d’avion, je sens que je viens de pénétrer dans un autre monde.  Il y a une cohue pas possible; des mendiants se trouvent dans l’aéroport et tournent autour de nos gros sacs à dos high tech pour faire de la randonnée; en sortant du bâtiment, une vieille dame bolivienne en vêtements traditionnels andins nous interpelle; le prof hèle des taxis et on se retrouve à 5 par voiture avec nos sacs pêle- mêle dans le coffre ET entre le coffre et la lunette arrière, le tout attaché avec des cordes diverses. C’est ma première expérience du système D des pays du Sud !  Et hop, on se lance dans un trafic inimaginable !

     

    Très vite, je découvre aussi que les inégalités Nord-Sud jouent en notre faveur, nous jeunes étudiants : le petit hôtel pas cher du tout (nous devions payer 5$/nuit, pas plus) où nous logerons pendant une semaine, quoique tout simple avec deux-trois lits par chambre, est doté d’une magnifique cour intérieure plein de fleurs (je réaliserai au cours de mes voyages qu’il en est ainsi partout en Amérique latine, même là où il fait un froid de canard, traditions espagnoles obligent !), et la gentille dame nous prépare des petits déjeuners délicieux avec café au lait et tartines.  Bon, OK, pour avoir de l’eau chaude dans les douches donnant sur le pallier il faut allumer un petit chauffe-eau électrique qui donne des chocs – ça aussi, c’est un incontournable des pays du Sud : flirter avec des risques que nos sociétés occidentales qui se vouent à la prévention n’autoriseraient jamais prendre ! – et les klaxons résonnent dès le lever du jour et donnent l’impression qu’une flotte de camions entre en trombe dans la chambre.  Mais vous savez quoi ?  JE M’EN FICHE !  Je dirais même que je suis charmée ! J

     

    Nous allons au marché et en rapportons pour quelques sous des avocats gros comme des ballons de football qu’on arrose avec des limes fraîches. On se gave de mandarines, de mangues et d’ananas, de petits pains chauds et de poulets rôtis à la broche – les fameux pollos a la brasa.  Au marché, on enjambe des rigoles puantes, on évite les chiens errants, on se casse les oreilles à l’écoute de radios qui grichent à tue-tête ou de camions qui se promènent avec des porte-voix sur le toit – est-ce toujours le même homme latino à la voix enthousiaste qui fait la narration de toutes les pubs, du Mexique au Chili ?  J’ai tendance à le croire ! - on échange avec de vieilles dames charmantes et on s’étonne de voir partout des calendriers-pubs de bière avec des filles blondes à moitié nues – trouvez l’erreur !

     

    Les mondes coloniaux et incas de chevauchent : on achète nos feuilles de coca à mâcher sous les arcades de places espagnoles toutes blanches et flanquées de palmiers, on goûte à la chicha, alcool de maïs fermenté et boisson sacrée, tout en pratiquant notre castillan. Cela fait deux jours que nous sommes arrivés; j’ai l’impression que cela fait deux mois.

     

    J’écris, j’écris, j’écris.  Sur des petits feuillets lignés que je plie par groupe de 4-5 et que j’insère dans des enveloppes « Par Avion » aux couleurs de la Bolivie. Elles sont destinées à mon Jef chéri resté au camp de vacances ; je lui ai demandé de me les conserver pour qu’elles me servent en même temps de journal de voyage.  Vous aurez compris que nous sommes à l’ère pré-Internet, que les lettres prennent plusieurs semaines à se rendre et que le fait de téléphoner outre-mer non seulement coûte cher mais prend une demi-journée en transactions et attente !  Je parlerai à ma maman une seule fois, je crois, en 7 semaines !  Pour lui dire, entre autres : « Maman, il n’y a pas de planète Terre, il y en a deux.  Jusqu’à présent, je n’en avais connu qu’une.  Maintenant, j’apprends à découvrir l’autre, celle où vit la grande majorité de la population humaine, une terre de misère mais surtout de débrouille, d’injustices mais aussi de joie de vivre ! »