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Causes, toujours ! - Page 27

  • Causes : Des piqûres de moustiques mortelles, une injustice géo-économique

    En juin 2013, j'ai participé au concours littéraire de l'Aide internationale pour l'enfance (AIPE). À mon grand étonnamment, j'ai remporté - ex-aequo avec une dame du Tchad - le prix de la catégorie adulte.

    Pourquoi avoir écrit ce texte ? Parce que je devais trouver un moyen de canalisre la tristesse d'apprendre le décès d'une enfant de deux ans dans ma belle-famille sri lankaise dans un petit moment d'écriture.


    Je viens de border mes enfants. Ils dorment paisiblement malgré les piqûres de

    moustiques qui les démangent parfois. Je ne suis pas inquiète. Ce sont des moustiques
    de la forêt boréale. Embêtants, comme chantait la Bolduc. Pas mortels. Ma cousine H. a aussi bordé son petit dernier le 26 mai. Pour la dernière fois. Piqué par un
    moustique de trop dans son pays natal, en Asie, il est décédé de la fièvre dengue à
    l'âge de deux ans et 4 mois.


    On a tous déjà entendu la affligeante nouvelle d'un petit enfant parti trop tôt. Dans un
    pays comme le nôtre, on dit : «ça ne s'explique pas ». Et c'est vrai. Et ça fait mal, mal.
    Dans les pays dits « du Sud », il n'y a pas que le triste hasard, que cette malchance qu'on
    ne s'explique pas. Oh non, la malchance aux statistiques affolantes s'explique. Elle est
    structurelle, pas naturelle. Tout comme la pauvreté : « (elle) n'est pas naturelle, disait
    Nelson Mandela; C'est l'homme qui la crée et elle peut être vaincue.”


    Vous me direz que la fièvre dengue – tout comme la malaria et bien d'autres maladies
    tropicales – n'a pas été créée par l'humain. Bien sûr. Ce serait trop simple. Mais les
    inégalités face aux maladies le sont. Selon le quartier de Montréal où l'on naît, on peut
    déterminer par statistiques ses chances de poursuivre ses études et d'éviter de souffrir de
    maladies chroniques. Selon le pays où l'on naît aussi. Parce qu'il y a inégalité des
    chances dès le départ. Mes enfants ont gagné à la loto le jour de leur naissance : ils sont nés dans un pays dits « du Nord » où les maladies sont sujettes à des luttes sans merci de la part des instances médicales et pharmaceutiques. Il y a des morts d'humains qui plus pèsent lourd que d'autres.

    Je n'accepterai jamais cette injustice endémique, celle par qui arrivent toutes les autres.
    Je lutte chaque jour contre celles-ci et ne baisserai jamais les bras. Mon désir de justice n'a pas de frontière de quartier ni de pays. Mon sentiment de solidarité n'est pas géographique. Mon empathie pour les mamans endeuillées ne baisse pas au gré des fuseaux horaire.
    J'ai dû faire face, une fois de plus, à ce sursaut humain, ce réflexe de protection contre
    des sentiments trop forts lorsqu'un malheur arrive « au loin ». Dans mon réseau, beaucoup
    de gens savent que, par alliance, j'ai une famille à 18 heures d'avion d'ici. Mais lorsque
    j'ai annoncé à plusieurs que mon petit-cousin était décédé, on a tenté de relativiser.
    « Ah, ça s'est passé là-bas! » Toutes les maladresses du monde se pardonnent quand il
    est question de deuil. Mais pour moi, là-bas, c'est ici. Ici, c'est là-bas.


    Il est criminel de ne pas porter assistance à une personne en danger. Dans nos vies de
    dingues, on perd la tête à avoir tant d'objectifs à atteindre à la fois – professionnels,
    personnels, familiaux... Comment ne pas tomber dans la culpabilité mais oser tout de
    même crier haut et fort qu'on refuse d'ignorer une humanité en danger ?
    Lucie Aubrac, héroïne de la Résistance française, disait aux enfants qu'elle rencontrait
    dans les écoles : Si vous avez déjà dénoncé une injustice, c'est que vous êtes résistant.

    Je me revendique de cette résistance. Parce que vaincre la pauvreté est un acte de
    justice. (C'est encore Mandela qui l'a dit. Merci Madiba!) Et résister, contrairement à ce
    que les bien-pensants peuvent imaginer, n'est ni désagréable, ni souffrant. C'est prendre
    une grande goulée d'air dans ce monde étouffant. Faire des choix de consommation
    éthiques, participer à des mouvements collectifs qui exigent des changements
    structurels absolument essentiels, et appuyer directement les populations qui luttent
    vaillamment chaque jour. Elles veillent au grain, le ventre vide, un enfant dans les bras.
    Elles m'inspirent.